CANADA : Nouveau-Brunswick : À peine arrivés au Nouveau-Brunswick, des francophones envisagent de partir au Québec

Ces immigrants avaient choisi le Nouveau-Brunswick avec la certitude qu’ils pourraient travailler en français.

  • Nouemsi Njiké

Publié hier à 1 h 56 HAP

Lorsqu’elle s’installait à Moncton en septembre dernier avec sa famille, Yolande Djongo était certaine qu’elle pourrait travailler en français. Moins d’un an plus tard, cette mère de deux enfants, originaire du Cameroun, déchante.

J’ai déposé des dossiers en français […] J’ai mis le test de langue en français. Maintenant, lors de l’entrevue, on exige qu’on fasse un test en anglais, explique-t-elle.

Malgré les multiples demandes d’emploi, il n’y a rien qui soit concret.[…] Il faudrait être parfaitement bilingue.Une citation de Yolande Djongo, résidente de Moncton

Yolande Djongo affirme qu’il lui a été impossible de trouver le moindre poste pour lequel la maîtrise de l’anglais n’est pas exigée.

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Comptable au Cameroun, elle est désormais au chômage. La situation est telle que son mari, lui aussi francophone, a dû s’installer à Montréal, quelques semaines à peine après l’arrivée de la famille au Canada, pour pouvoir travailler et subvenir aux besoins de la famille.

Ici, c’était impossible pour lui. Même un petit boulot, juste de quoi payer les factures, c’est impossible. Il a été obligé de se déporter pour aller au Québec, indique-t-elle.

Yolande Djongo compte rejoindre son mari au Québec dans quelques semaines. Elle n’attend désormais plus que la fin de l’année scolaire vu que ses enfants sont élèves à Moncton.

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Pas un cas isolé

La situation de cette famille n’est pas unique. Wilson Donfack est arrivé à Moncton il y a à peine deux mois avec sa famille, mais il est déjà lui aussi confronté à la barrière de la langue. Il croyait pourtant s’être suffisamment préparé.

En arrivant [au Nouveau-Brunswick], je me disais que […] quand on dit bilingue, c’est que beaucoup vont parler français et anglais. À ma grande surprise, beaucoup maîtrisent plus l’anglais que le français. Rares sont les personnes qui parlent le français et l’anglais, surtout dans la ville où je suis [Moncton], explique-t-il.

Les conditions d’offre [d’emploi] disent souvent, la plupart du temps, bilingue : anglais-français important. Et, quand tu passes l’entretien, c’est en anglais.Une citation de Wilson Donfack, résident de Moncton.

Wilson Donfack a passé plusieurs entretiens qui se sont tous soldés par des échecs. Il affirme qu’il a les compétences requises par les employeurs, mais qu’il a été systématiquement éliminé parce qu’il ne parle pas anglais.

Wilson Donfack interviewé dans son logement.

Wilson Donfack va se mettre à l’anglais même s’il est déçu de ne pas pouvoir travailler en français.

Photo : Kenneth Hébert

Selon le sociologue Leyla Sall, la situation que vivent ces immigrants s’explique essentiellement par l’anglophonie dominante au sein de laquelle se trouve l’Acadie, une Acadie qui veut être une communauté d’accueil d’immigrants francophones sans avoir le marché de l’emploi pour atteindre cet objectif.

Ici, ce sont souvent les institutions publiques qui sont bilingues, pas les personnes. Et les emplois ne sont pas si bilingues que ça, explique-t-il.

Même les institutions qu’on dit bilingues, souvent, quand tu les fréquentes tu te rends compte qu’elles ne sont pas si bilingues que ça.Une citation de Leyla Sall, professeur de sociologie, Université de Moncton

Selon Leyla Sall, seules quelques niches peuvent accueillir des unilingues francophones. Et même là, explique-t-il, il faut en fin de compte se mettre à l’anglais.

Dans mon cas, c’est l’Université de Moncton. C’est une niche francophone. Sauf que même là, si tu es recruté, pour progresser dans tes recherches, les recherches en général, ça se fait en anglais, indique-t-il.

Leyla Sall.

Leyla Sall remarque que de plus en plus d’étudiants de l’Université de Moncton apprennent l’anglais.

Photo : Gracieuseté de Leyla Sall

C’est la publicité qui est faite à l’étranger auprès de potentiels immigrants qui leur donne l’impression qu’ils peuvent vivre et travailler en français dans les communautés francophones minoritaires, ce qui explique en partie le problème auquel sont confrontés les immigrants francophones, selon Leyla Sall.

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On vous a demandé de venir, de vivre en français, de renforcer la gang, comme on dit, pour élargir la francophonie néo-brunswickoise, sauf que ça s’arrête là. Vous ne pouvez pas travailler en français la plupart du temps, précise-t-il.

S’angliciser pour s’intégrer?

Leyla Sall observe ce qu’il considère comme un changement d’attitude chez les étudiants étrangers francophones qui envisagent de rester au Nouveau-Brunswick à moyen ou long terme. Selon lui, ils ont tendance à sortir de leur cocon francophone en allant chercher des emplois en dehors de l’établissement scolaire afin d’améliorer leur connaissance de la langue anglaise.

Stéphane Tchatchoua, étudiant en gestion de la chaîne d’approvisionnement au Collège communautaire du Nouveau-Brunswick (CCNB), a fait le même constat que bien d’autres nouveaux arrivants : Pour m’en sortir, il fallait élever un peu mon niveau d’anglais.

Stéphane Tchatchoua répond aux questions du journaliste.

Stéphane Tchatchoua connaît des personnes qui sont parties du Nouveau-Brunswick.

Photo : Kenneth Hébert

95 % des emplois que j’ai rencontrés, on demandait de parler anglais, parfois on demandait de parler français et anglais, mais très peu, mais alors très peu, on voulait uniquement la langue française, explique-t-il

Contrairement à ses amis qui ont choisi de déménager au Québec, il n’est pas encore certain de savoir ce qu’il veut faire. Il veut tenter de s’intégrer et a commencé à suivre des cours d’anglais dès son arrivée et il décidera ensuite.

S’il hésite à partir, c’est aussi parce qu’il est hébergé par son frère qui vit à Dieppe depuis quelques années.

Rien d’inquiétant pour le gouvernement

Interrogé par Radio Canada sur le phénomène des francophones qui partent ou sont tentés de partir de la province, le gouvernement du Nouveau-Brunswick indique que les nouveaux arrivants sont extrêmement importants et que la croissance de la population francophone est une priorité depuis plusieurs années.

Il précise que les nouveaux arrivants francophones constituent plus du quart du total des arrivées en 2023 dans la province, et note, au passage, que les mouvements de population ne sont pas uniques au Nouveau-Brunswick.

Le phénomène n’inquiète pas le gouvernement puisque la population continue de croître régulièrement, les arrivées continuant de dépasser les départs, indique Paul Bradley du ministère de l’Éducation postsecondaire, de la Formation et du Travail.

Paul Bradley ajoute que le gouvernement a affecté des ressources par l’intermédiaire de Travail NB afin de répondre à la demande croissante de services […] comme les conseils en matière d’emploi, de développement des compétences dans les professions prioritaires, et l’aide aux nouveaux arrivants, comme la formation linguistique.

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